La règle de l’impermanence
Une règle universelle touche les humains comme le reste du vivant : l’impermanence. Rien ne dure, tout se transforme. Ce qu’on construit se déconstruit. Ce qui est jeune vieillit. Ce qu’on aime, ce à quoi on tient, ce qu’on pense durable, tout ça finit à un moment par passer. Et bien sûr, tout ceci nous conduit jusque l’impermanence ultime : la mort.
Toutefois, ce n’est pas parce qu’on y est préparé, que cela ne génère pas de douleur. C’est toujours un déchirement de perdre un être cher. On se sent amputé, désemparé, et envahi de chagrin. C’est une réaction normale, qu’il ne faut d’ailleurs pas empêcher. Mais certains deuils sont plus compliqués que d’autres, parce qu’on lutte, on n’accepte pas, on reste bloqué dans une vie passée qui n’est plus. C’est dans ces moments-là qu’il peut être important de proposer un accompagnement au deuil, pour favoriser l’acceptation et la cicatrisation de la blessure de la perte.
Les origines du « green care »
Certains thérapeutes et accompagnants ont ainsi développé des accompagnements en nature pour faciliter les processus émotionnels, y compris le processus de deuil. Ces accompagnements en nature s’inscrivent aujourd’hui dans un champ large de pratiques appelées “écothérapies” ou en anglais “green care”. On voit ainsi se déployer les offres de “soin vert” : hortithérapie, zoothérapie, sylvothérapie, agriculture de soin, thérapie en milieu sauvage, psychothérapie en marchant, etc.
Ces interventions qui passent par le contact avec des plantes, des animaux ou des paysages ont comme point commun de (re)mettre l’humain en mouvement et en relation avec son environnement naturel, dans le but de contribuer de façon positive à la santé physique et mentale, et plus généralement à la santé globale. L’espace naturel joue le rôle d’une médiation thérapeutique, en favorisant la mise en lien de la personne avec elle-même, avec les autres humains, et avec le reste du monde vivant. Ces approches écothérapeutiques permettent ainsi aux personnes de retrouver du lien, du mouvement, et de cheminer dans de nouvelles perspectives.
Le travail du deuil en écothérapie
Dans le travail spécifique du deuil, l’objectif de l’accompagnement en nature est pluriel :
- Aider les personnes à vivre leurs émotions dans l’instant présent, accueillir et valider ainsi tous les ressentis, sans les bloquer ni les réprimer.
- Bénéficier du côté apaisant et rassurant de la nature, des arbres, des végétaux qui stimulent nos ressources intérieures.
- Permettre un temps de réflexion et de retour sur soi, en entrant en résonnance avec l’environnement extérieur.
- Et s’inspirer de la nature qui elle aussi connait les pertes, les déchirures, les déracinements, les abandons et qui nous enseigne la résilience, l’adaptation, la patience, le courage, la persévérance…
Dans le travail du deuil, il est particulièrement intéressant d’amener l’attention de la personne sur le fait qu’une forêt ne meurt jamais. Quand un arbre tombe, ce n’est jamais une fin. C’est le point de départ d’une autre vie. Il laisse la place aux autres arbres autour de lui qui vont pouvoir pousser et se développer autrement. Et il sert de nid, de niche, de vivier à l’éclosion d’une nouvelle vie qui s’installera à l’intérieur de lui. L’arbre mort porte en lui le potentiel de toutes les vies futures. L’arbre symbolise le cycle de la vie, ce qui change, ce qui s’adapte, ce qui se transforme, ce qui renaît. A ce titre, une forêt ne meurt jamais, c’est un écosystème en perpétuelle évolution.
Lorsque j’accompagne en nature une personne en deuil, nous prenons d’abord le temps de laisser le corps ressentir et exprimer ses émotions : la tristesse, la révolte, la peur, l’abattement… Nous permettons à l’environnement d’accueillir tout ceci, sans jugement. Il est également important de laisser s’exprimer la parole, témoigner de sa détresse et de ses craintes, évoquer ses regrets et sa culpabilité, honorer la mémoire du défunt. Vient ensuite le moment où l’on effectue un mouvement de soi vers l’extérieur. Qu’est-ce qui dans la nature environnante peut évoquer cette perte ? Une branche cassée, un arbre déraciné, une rivière asséchée, une souche tronçonnée… Nous prenons alors le temps de l’observation et de la symbolisation, en notant ce que cela évoque et provoque à l’intérieur. Et puis il y a le message de la nature : que peut-elle nous apprendre, comment peut-elle nous inspirer, quelle leçon pouvons-nous en tirer ? C’est à ce moment que l’on peut puiser dans nos ressources de résilience et d’adaptation, et comprendre que tout ce qui meurt laisser place à une autre vie. L’accompagnement peut ainsi se passer en une séance, ou se prolonger sur plusieurs sessions, en individuel ou en groupe, selon les besoins de la personne.
Un écosystème en évolution
En tant qu’être vivant, nous accueillons la vie et la mort, c’est un cycle perpétuel qui nous habite et que la nature nous rappelle avec humilité. Tout comme la forêt, nous sommes un écosystème en constante évolution. Lorsque nous perdons un être cher, c’est en quelque sorte notre forêt intérieure qui se réorganise. L’interaction avec la nature ouvre et dilate en nous un espace propice à accueillir ce cycle naturel. En amenant les personnes endeuillées en nature nous leur offrons ainsi des conditions favorables à la possibilité d’une transformation et de l’émergence d’une compréhension et d’une intégration nouvelle. La mort n’est pas une fin, c’est une évolution. Et qui mieux que la nature peut nous rappeler cela.