Comment j’ai osé pratiquer la psychothérapie en nature ?

Le soin psychique en dehors du cabinet ?

Un matin de 2016 je suis allé vers mon cabinet de psychothérapie en traversant le parc. Un sourire a étiré mon visage. Je me suis dit : ce lieu me fait quelque chose et c’est plutôt agréable.
Un peu plus tard, refermant la porte de mon cabinet je me suis demandé : pour quoi est ce que je reçois dans une boite ?
Ne m’étais-je jamais sérieusement posé la question ? À vrai dire, non. Mes thérapies personnelles s’étaient toujours déroulées dans des boites, ainsi que mes différentes formations à la psychothérapie.
Mais qu’est-ce qui est thérapeutique ? La relation avec un humain? La relation avec un dispositif ? Et si le dispositif est vivant, que se passe-t-il ?
Avec un mélange de peur et d’envie, j’ai commencé à envisager de quelle façon la nature pourrait jouer ce rôle. Mais sur quoi m’appuyer? Après avoir interrogé l’histoire des relations entre nature et soin psychique, je me suis tourné vers mon superviseur. J’ai pu alors me baser sur ma pratique de référence, l’Analyse Psycho-Organique, pour construire un dispositif thérapeutique simple, où l’espace naturel joue le rôle de situation où se découvrir. Il m’a fallu repenser la fonction contenante et protectrice du cadre : que peut-il devenir en milieu ouvert ?
Ce travail de recherche m’a conduit à ces 4 propositions:
Le contact avec la nature peut favoriser l’accès aux sensations du corps.
Il peut jouer le rôle d’un espace d’expérience où se rencontrer soi-même.
Il peut soutenir l’accès au plaisir et au contentement.
Il offre d’entrer dans une intelligence du monde plus vaste.
Je les illustrerai avec le chemin thérapeutique de Julie.

 

Soigner avec la nature : une longue histoire parfois oubliée

Pour oser dépasser mon appréhension de sortir du cabinet, poser un regard sur l’histoire du soin a été précieux. Les dispositifs thérapeutiques en milieu naturel remontent à la préhistoire, où des sites comme Stonehenge ou Valsaintes témoignent de l’importance des lieux naturels pour des rituels liés à l’espace, au temps et à la fécondité. Ces déplacements offraient de se situer, ou de vivre son espérance. Plus récemment dans la civilisation grecque, les Péripatéticiens, disciples d’Aristote, enseignaient en plein air, liant la nature à la philosophie.
Dans d’autres civilisations, les traditions chamaniques donnent à la nature une fonction thérapeutique: le chaman rétablit l’harmonie en faisant médiation entre les humains et les esprits de la nature. Dans ce paradigme, éléments, animaux et plantes ont aussi des capacités d’enseignement. En Occident, les « sorcières » du Moyen Âge utilisaient plantes et rituels en naturel pour la guérison, jusqu’à ce que la vision chrétienne les marginalise, faisant de l’humain un être supérieur et extérieur à la nature, en rupture avec la pensée antique. La Renaissance, plaçant l’humain au centre du monde, puis la Modernité, ont ensuite transformé la perception de la nature, la vidant de sa vie et la pensant soumise à des lois mécaniques. Descartes, notamment, a conceptualisé la nature comme une machine, influençant durablement la science et la médecine.
L’Occident du 19e siècle, tout en se lançant dans une exploitation industrielle de la nature, s’intéresse de plus en plus à la psyché humaine. Au tournant du 20ème siècle, la psychanalyse freudienne va au bout de ce processus de séparation en isolant le patient de son environnement naturel et humain : allongé sur le divan du cabinet, il imagine l’analyste dans son dos. Ce dispositif a l’avantage d’une focalisation maximale sur le monde intrapsychique… pourtant il se prive du potentiel thérapeutique des interactions avec le monde.

Mais au 20ème siècle le soin psychique se réouvre à l’environnement : Ferenczi valorise la relation entre le patient et le thérapeute, l’école de Palo Alto théorise la complexité systémique, l’ethnopsychiatrie et la sociologie du travail donnent toute son importance au contexte socio-culturel. Les années 1980 voient une (re)apparition des pratiques thérapeutiques en nature, avec l’émergence de l’hortithérapie, du bain de forêt et des thérapies assistées par des animaux. Des premières études scientifiques démontrent les bienfaits de la nature sur la santé mentale.

 

Écopsychothérapie : oser sortir du cabinet en s’appuyant sur ses propres bases

Découvrir cette histoire m’a aidé à envisager de travailler en relation avec le paysage vivant. Mais je sentais aussi que pour que le contact avec la nature soit utilisé efficacement en thérapie, il me faudrait théoriser cette médiation avec rigueur. J’ai alors travaillé cette question avec mon superviseur, qui était Paul Boyesen, le créateur de l’Analyse Psycho-Organique, ma pratique de référence. Car pourquoi ne pas partir de ses propres bases? Il m’a aidé à redécouvrir ce qui était déjà là dans ce modèle théorique : par exemple la notion centrale de situation, qui permet de sentir le corps et le sentiment, puis d’exprimer le besoin, pour libérer les affects mémorisés et accéder à de nouvelles perceptions. Alors qu’au cabinet les situations sont le plus souvent imaginaires, en espace naturel les situations stimulent réellement le corps. Elles sont diversifiées… et parfois surprenantes! Il est donc possible de se retrouver soi-même dans le paysage, de parler de soi à travers lui, comme s’il était un espace projectif. Mais aussi de s’ouvrir à l’intelligence des êtres vivants, en écoutant ce que nous pouvons en apprendre. J’ai ainsi construit un dispositif psychothérapeutique simple, où l’espace naturel joue le rôle de médiation entre des parties de soi.

Dehors, est-on hors-cadre? Le cadre de l’écopsychothérapie : voilà une question souvent posée par mes collègues! Il m’a fallu la travailler pour réaliser que le cadre thérapeutique, souvent perçu comme l’environnement physique d’un cabinet, n’est pas un objet matériel. Il est un ensemble de codes relationnels, conçus pour protéger le patient, le thérapeute et la thérapie, et révéler la dynamique psychique inconsciente du patient. Une fois que le cadre est intériorisé, il peut donc continuer à fonctionner au-delà des murs.
Le thérapeute incarne alors le cadre mobile qui garantit l’usage thérapeutique de l’itinérance dans l’espace naturel. Sa posture évolue : le face à face du cabinet devient un côte à côte. Son rôle est alors de favoriser l’interaction entre le patient et le paysage.
Bien que le cadre de la séance itinérante soit identique à celui du cabinet, une dimension nécessite d’être travaillée avec le patient : la confidentialité. En effet il se peut que des promeneurs nous voient, et ainsi que l’existence de la relation thérapeutique soit dévoilée. Il est nécessaire d’en informer le patient avant de sortir au parc ou en forêt, et de vérifier l’acceptabilité de cette éventualité.
Mais concrètement, comment les séances en nature viennent s’articuler avec le travail au cabinet ? En voilà un exemple.

 

L’apport de l’écothérapie : Julie ou la sortie de l’enfermement

Julie a subi une longue maltraitance parentale qui a inscrit en elle anxiété et dépression : oser aller vers les autres est difficile. Au cabinet, elle a vécu un travail d’identification des transmissions toxiques. Cependant elle peine à sortir de son repli : quand elle réussit, elle revient bientôt à ses pensées pessimistes. Je songe à lui proposer la séance itinérante pour qu’elle sente mieux la vie dans son corps, et qu’elle s’ouvre à de nouvelles façons de se relier au monde.
Ayant entendu le cadre, elle a souhaité vivre cette expérience. Lors notre rendez-vous à l’entrée du parc je lui propose : « Quand nous franchirons l’entrée, ce sera vous qui nous guiderez : je vous suivrai et vous vous laisserez attirer vers les lieux qui vous touchent. Si vous choisissez de vous arrêter, je vous accompagnerai par des questions pour que vous sentiez mieux ce que ce lieu vous permet de découvrir en vous-même. Puis nous reviendrons vers le point de départ pour conclure la séance. »

Tandis qu’en marchant elle me raconte ses dernières vacances, je lui suggère de respirer les odeurs, de sentir l’air sur sa peau. Sa parole ralentit, son souffle s’approfondit, son regard s’ouvre au paysage. Elle me montre ensuite un petit cours d’eau, où stagnent des débris végétaux qui semblent le boucher. « Mes vacances c’était comme ça, me dit elle en montrant la petite cascade en amont: entrainant, joyeux; et puis maintenant c’est la rentrée, je suis seule à nouveau et tout ralentit, ça stagne. »
Je lui propose alors de sentir comment cette situation la touche. Une larme apparait; « C’est toujours comme ça dit-elle, il y a des moments de vie et ensuite ça s’arrête. » A ma question « Quand vous sentez cela, ça vous donne envie de faire quoi? », elle murmure après un silence : « Je voudrais dégager tout ce qui bouche la rivière. » Je la soutiens alors dans son mouvement: elle trouve un long bâton, s’approche de l’eau et remue le bouchon de feuilles mortes. Son visage s’éclaire d’enfance quand l’eau retenue est libérée. « Je suis capable de le faire », dit-elle, nommant la joie que ça fait venir en elle. Je lui propose de prendre le temps de contempler le flot ainsi libéré, en profitant de la nouvelle sensation.

Mais au bout de quelques minutes, les bois et feuilles charriés par l’eau reconstituent un paquet qui semble obstruer à nouveau le cours d’eau. Le visage de Julie exprime le désarroi. De mon côté je n’avais pas prévu cette situation! Je me demande comment la mettre au service du processus thérapeutique… Mais Julie y donne bientôt sens: « Et voilà, c’est toujours pareil, à nouveau tout ralentit, ça se referme ». A ce moment il me vient que le fonctionnement de cet écosystème a peut-être quelque chose à enseigner à Julie; je lui demande ce qu’elle apprend de ce qu’elle voit.
« Qu’il faut toujours tout recommencer, dit-elle, chaque jour, chaque cycle de saisons… C’est comme ça que ça marche. » Dans cette nouvelle situation elle nomme la colère, puis l’envie de retourner déboucher le ruisseau. Après l’avoir fait énergiquement, elle partage sur le chemin du retour son impression d’attendre, dans sa vie, que les choses se débouchent toutes seules.
La fois suivante elle me dit « En fait c’est à moi de faire les choses, de proposer des liens, des projets. » J’observe dans la suite de sa thérapie comment elle s’approprie de plus en plus sa capacité d’initiative. Elle reparlera de cette séance au parc.

 

Partir de ses bases, pour mettre en dialogue le vivant du dedans et le vivant du dehors

Dans l’exemple de la psychothérapie de Julie, j’ai pensé l’interaction avec le paysage vivant à partir de la notion de situation. Ce cours d’eau bouché a fait lien entre son monde intérieur et le monde extérieur. Le sentiment qui est venu lui a donné envie d’exprimer une action à la fois concrète et symbolique, qui lui a donné une nouvelle sensation d’elle-même. Puis la nature a rappelé ses lois, en rebouchant le ruisseau, et Julie a construit un apprentissage qu’elle a ensuite durablement intégré à ses représentations.
Je suis donc parti de ma méthode de référence pour imaginer ce que les séances itinérantes en nature pourraient apporter à la thérapie.
Cela a fonctionné pour moi; si vous êtes thérapeute, cela pourrait-il fonctionner pour vous à partir de votre méthode de référence ?

Auteur : Yann Desbrosses