L’orothérapie : un voyage thérapeutique au cœur des montagnes

Il s’agit d’une approche thérapeutique qui utilise les bienfaits du milieu montagnard pour apaiser les
souffrances physiques et psychiques. Cet article explore l’impact de l’immersion sensorielle dans un
environnement de montagne, ainsi que les effets psychologiques induits par l’ascension et la descente
d’un sommet.

Lorsque nous contemplons un sommet, que nous gravissons ses pentes ou observons la vallée depuis son
sommet, que se passe-t-il dans notre esprit ? Quels sont les mécanismes qui se déclenchent dans notre
cerveau lors de ces expériences uniques ?

 

Les bienfaits thérapeutiques de la nature

La forêt a longtemps été reconnue pour ses vertus thérapeutiques, une pratique bien documentée depuis de
nombreuses années, avec des approches comme le shinrin yoku (bain de forêt) et le shinrin ryoho. De
nombreuses études scientifiques ont démontré les bienfaits de ces pratiques sur la santé physique et
psychologique, notamment par la régulation du système nerveux autonome et la réduction du stress (Alix
Cosquer, 2021). L’intérêt accru pour la nature après les confinements successifs souligne l’importance du
contact avec les espaces naturels pour le bien-être.

Cependant, la montagne en tant que lieu de soin reste peu explorée malgré les expériences vécues par
divers publics tels que les alpinistes, les randonneurs, ou encore les personnes en situation de handicap.
Certains thérapeutes commencent à intégrer la nature comme un co-thérapeute, réhabilitant l’espace
naturel en tant qu’allié dans le processus de guérison psychique. Une étude menée par Barragan-Jason et
ses collaborateurs (2022) montre que reconnecter les individus à la nature contribue à renforcer leur
sentiment d’appartenance au vivant.

 

L’orothérapie : définition et spécificités

Le terme orothérapie provient du grec « oro » signifiant montagne ou relief, et désigne une forme de
thérapie qui tire parti des caractéristiques uniques de l’environnement montagnard. Cette approche invite à
une réhabilitation globale de l’être humain — corps, souffle, cœur et esprit — en utilisant la verticalité et
les perspectives offertes par les montagnes pour favoriser une reconnexion à soi et à la vie. Comme le
souligne Étienne Klein, « Quand on est en montagne, on a une vue monarchique sur le monde, avec
une lecture qui peut être bouleversante par rapport à nos habitudes de pensées. »
Les effets de l’orothérapie se manifestent principalement à travers trois aspects interdépendants : l’effet de
l’environnement, l’engagement physique, et l’impact sur les pensées.

 

Effets de l’environnement montagnard

L’univers de la montagne, par ses reliefs et ses perspectives, exerce une influence unique sur la
perception. La différence entre regarder vers le haut ou vers le bas a des conséquences sur notre état
émotionnel et notre jugement. En effet, les notions de hauteur et de verticalité sont profondément ancrées
dans notre psyché depuis des temps immémoriaux (Samivel, 1984). Les sensations ressenties en
montagne, qu’elles soient physiques ou perceptuelles, activent des mécanismes émotionnels primaires,
inscrits dans notre cerveau depuis notre évolution en position debout (A. Damasio).

 

Engagement physique et effets psychiques

Marcher en montagne sollicite le corps de manière intense. Contrairement à une marche en terrain plat,
l’ascension nécessite une attention particulière au souffle, à la posture, et à la coordination des
mouvements. Cet effort physique influence directement notre état mental, nous confrontant à des
questionnements personnels : « Vais-je réussir à gravir cette pente ? Ai-je les ressources nécessaires ?
» Ce processus d’adaptation à l’effort peut révéler des forces insoupçonnées ou au contraire, mettre en
lumière notre vulnérabilité.

Comme l’exprime D. Le Breton (2000), « Marcher en montagne accentue l’effort physique, et dans
cette épreuve, l’être humain peut découvrir un puissant antidote aux épreuves morales. » La
montagne offre ainsi une occasion unique de redéfinir son centre de gravité tant sur le plan physique que
psychologique.

 

La spiritualité de la montagne

L’expérience de la montagne va bien au-delà de l’effort physique. Pour de nombreux alpinistes et
randonneurs, le désir de gravir un sommet trouve ses racines dans une quête spirituelle. La confrontation
avec la grandeur et la beauté des montagnes nous pousse à nous interroger sur le sens de la vie, à revenir à
l’essentiel. Michel Onfray décrit cela comme une rencontre qui nous permet de faire « l’expérience de la
spiritualité, de la beauté, de la transcendance, du sublime ».

Cette expérience d’élévation, tant physique que psychique, permet aussi de mieux se connaître. Bernard d
Amy (2020) soutient que la montagne peut améliorer la compréhension de soi, offrant un terrain pour des
prises de conscience profondes. Comme l’exprime Agresti B. (2021), « La montagne peut nous aider à
réapprendre l’essentiel sur soi, sur les autres et sur le monde. »

 

Les effets thérapeutiques de la montagne

L’orothérapie s’appuie sur trois axes fondamentaux : l’environnement, le corps en mouvement, et nos
pensées. Ces trois éléments interagissent pour offrir une expérience thérapeutique unique.

1. L’effet de l’environnement

L’immersion dans un paysage montagnard, avec son air pur et ses panoramas grandioses, a un effet
restaurateur sur notre être. L’hypothèse de la « biophilie » (Wilson, 1986) suggère que les humains ont une
prédisposition génétique à rechercher le contact avec la nature pour favoriser leur adaptation et leur
bien-être. Cet environnement naturel devient ainsi un puissant catalyseur de rééquilibrage intérieur.

2. Le corps en mouvement

Lorsque nous évoluons en montagne, notre corps se transforme en un instrument de régulation. La marche
en montée, exigeant une coordination étroite entre le souffle et les mouvements, invite à un rapport
bienveillant à soi. Comme l’exprime Pierre Bourdieu (1977), « le corps fonctionne comme un langage
par lequel on est parlé plutôt qu’on ne le parle ». La régulation de l’effort physique par l’attention au
corps permet non seulement d’apprécier le chemin, mais aussi de reconnecter avec des aspects essentiels
de notre identité.

3. Les effets sur nos pensées

Le mouvement a une influence directe sur notre cognition. Comme le souligne Nietzsche, « Il faut se
méfier de toutes les idées qui n’ont pas une origine musculaire. » En d’autres termes, c’est en
bougeant que nous pensons, et l’environnement de montagne, par ses changements constants de
perspective, permet une réflexion plus profonde et plus créative. Cette idée est renforcée par les sciences
cognitives qui soutiennent l’hypothèse de la cognition incarnée : « notre esprit est indissociable de notre
corps, et penser c’est agir » (E. Altenloh et G. Favro, 2021).

 

L’orothérapie dans le cadre des thérapies en nature

L’orothérapie s’inscrit dans la grande famille des écothérapies, qui visent à rétablir la relation entre
l’humain et la nature. Yann Desbrosses, pionnier de l’écopsychothérapie en France, distingue
l’écopsychologie de l’écothérapie et de l’écopsychothérapie. « L’écopsychologie n’a pas pour objectif
de soigner une personne mais de restaurer la relation entre l’humanité et la nature », alors que
l’écothérapie et l’écopsychothérapie visent, elles, à soigner l’individu grâce au contact avec le monde
vivant.

L’orothérapie, quant à elle, se concentre sur la relation avec la montagne (le relief et les différents étages
du paysage montagnard- collinéen, forestier,alpin…) et ses effets spécifiques sur notre bien-être et notre
processus de guérison intérieure. Elle s’intègre ainsi pleinement dans ce champ des thérapies en nature,
tout en apportant une dimension unique : celle de l’élévation et de la descente, aussi bien physiques que
symboliques.

 

Les précurseurs de l’orothérapie

Depuis des siècles, la montagne a joué un rôle symbolique puissant dans de nombreuses cultures. Qu’il
s’agisse de montagnes sacrées ou d’espaces de transcendance, les sommets ont longtemps été associés à la
pureté et à la solitude, demandant à ceux qui les gravissent un effort et une persévérance uniques.
Aujourd’hui encore, malgré la modernité, les montagnes continuent de susciter admiration et respect,
comme le souligne Victor Hugo : « Sur la montagne, l’âme s’élève, le cœur s’assainit, la pensée prend
sa part de cette paix profonde. »

Le terme orothérapie a été proposé par Pierre Albero, guide de montagne expérimenté, qui a constaté les
bienfaits thérapeutiques des montagnes à travers ses nombreux accompagnements avec différents publics,
notamment des personnes en situation de handicap.

 

Expérimenter l’orothérapie

Que ce soit lors de vacances ou d’une simple escapade en montagne, il est possible de ressentir les effets
de l’orothérapie par l’observation et la marche. Par exemple, la descente en montagne, souvent plus
rapide, peut stimuler la créativité et permettre de résoudre des problèmes, alors que l’ascension, plus lente,
favorise une réflexion profonde et analytique.

Les thérapeutes peuvent intégrer l’orothérapie dans leurs pratiques en utilisant les spécificités du terrain
— montées et descentes — pour guider leurs patients à travers des questionnements personnels. Un
exercice souvent pratiqué consiste à suivre les 4C :

  • C pour Contexte : Qu’est-ce que je vois ?
  • C pour Corps : Qu’est-ce que je ressens ?
  • C pour Cognition : À quoi cela me fait penser ?
  • C pour Comportement : Qu’est-ce que cela me donne envie de faire ?

Ces exercices, combinant l’expérience intérieure et l’environnement extérieur, permettent de se
reconnecter à soi et d’explorer de nouvelles perspectives de vie.

L’orothérapie offre une opportunité unique de guérison et de transformation par la nature, en particulier
les montagnes. Comme le résume si bien Reinhold Messner, « Nous avons une aptitude rare : en
cheminant sans hâte et sans parler dans la nature vierge, nous apprenons à mieux nous connaître.
Dans la lenteur et le silence, nous prenons pleinement conscience de notre être. »

Auteur : Charlotte Roura